Combattre "le Mal à l'état pur"

Combattre "le Mal à l'état pur" : Il y a toujours du bon chez ceux qui font le mal. Perdre cette espérance, ce serait tout perdre. « Il ne faut pas confondre le malade et la maladie, on n’aura rien soigné si l’on supprime le malade, or de nombreux combattants de Daech sont atteints par le Mal comme on est infecté par une maladie, embrigadés et pris au piège »

Combattre "le Mal à l'état pur"

 

P. Henri Amet : « Ce n’est pas le diable qui commet le mal, c’est l’homme »

 

P. Jean-Michel Maldamé : « Il faut répondre au Mal par le Bien qui a été abîmé : la parole contre le silence, la vérité contre le mensonge, bâtir sur ce qui a été détruit… »

 

Des scènes d’égorgement humain publiées sur YouTube.
Des récits de massacres entre voisins.
Le spectacle de la barbarie et de la violence extrême qui assaillent le monde repose avec force aujourd’hui la question du mal et du scandale de son existence.

 

Réagissant sur Radio Vatican, jeudi 6 novembre 2014, au meurtre d’un couple de chrétiens pakistanais accusés de blasphème et brûlés vifs,

le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, évoquait « le mal à l’état pur » :

« Je crois que nous sommes arrivés là au paroxysme. Même les animaux ne se comportent pas comme cela. Nous sommes vraiment dans une période de précarité totale, tout peut arriver : la personne humaine n’est pas respectée, la vie ne compte pas. »

Si Dieu est bon, comment permet-il cela ? Quelle faute les victimes ont-elles commise ?

 

« LE MAL EST UN SCANDALE »


« Le mal est un scandale, nous sommes dans l’impasse tant que nous cherchons à le justifier », estime Olivier Abel, professeur de philosophie éthique à la faculté protestante de Montpellier.

Ni par l’idée d’une faute commise, ni par celle d’un mal voulu par Dieu.

« Le christianisme déconstruit d’abord la conception pénale du malà la lumière du Livre de Job, c’est-à-dire notre tentation de voir le mal subi comme une punition de nos fautes. » 

Ensuite, il sauve la bonté de Dieu.

« Dieu n’est pas responsable du mal, nous dit saint Augustin (IV e  siècle), qui désigne le mal comme un non-être, la privation du bien qui devrait être et qui manque », explique le P. Jean-Michel Maldamé, théologien dominicain.
Saint Augustin récuse ainsi la fatalité du mal issue du manichéisme, qui accepte l’idée d’un dieu du mal en lutte avec un dieu du bien.

« Dieu n’intervient pas contrele mal parce qu’il a réellement confié aux hommes le respect de la vie, poursuit le dominicain. La thèse d’Augustin invite l’humanité à assumer sa responsabilité, puisque c’est en elle que le mal prend source. » 

 

Le P. Jean-Michel Maldamé explique :
« Le mal est une notion multiple. Il y a un mal physique, un mal psychique, un mal moral et un mal spirituel. La spécificité chrétienne est de désigner la carence spirituelle comme étant à la racine de toutes les autres. » 

 

« ON EST TENTÉ À LA FOIS PAR L’ANGÉLISME ET LA DIABOLISATION »

Ces écueils rejettent le mal hors de nous.
Après la Shoah, Hannah Arendt dit au contraire que le pire sort de la banalité. 

 

Mgr Yousif Thomas, archevêque de Kirkouk, dénonce une autre tentation qui consiste à éluder le mal par un discours de combat :

 
« Il ne faut pas confondre le malade et la maladie,

on n’aura rien soigné si l’on supprime le malade,

or de nombreux combattants de Daech (l’organisation djihadiste à l’œuvre en Irak, NDLR)

sont atteints par le Mal comme on est infecté par une maladie,

embrigadés et pris au piège »,

 

Pour l’archevêque dominicain, c’est précisément ce qui sous-tend l’idéologie djihadiste.

« Le mal est dans le cœur de l’homme. On ne peut pas l’arracher en désignant son adversaire comme l’incarnation du mal. Chaque fois qu’une armée a prétendu le faire, elle a échoué »

 

« IL FAUT RÉPONDRE AU MAL PAR LE BIEN QUI A ÉTÉ ABÎMÉ »

Combattre le mal à un niveau spirituel est une tâche bien plus complexe.

« Il faut répondre au mal par le bien qui a été abîmé », répond le P. Maldamé :

la parole contre le silence, la vérité contre le mensonge, bâtir sur ce qui a été détruit…

« En Europe, on peut voir ainsi les grandes avancées du dialogue judéo-chrétien qui a entrepris ce travail d’introspection historique théologique. »

Pour l’Irak, ce combat doit être dirigé, selon Mgr Thomas, contre l’idéologie et le « terrorisme de l’image » de Daech, notamment « à l’aide des artistes ».

« Nous-mêmes devons nous immuniser contre la haine et la vengeance en priant, en prenant soin des victimes, en remplissant nos cœurs de l’amour de Dieu. »

 

Lors de l’arrivée des premiers réfugiés, il y a trois mois, le diocèse a ajouté à chaque sac de victuailles une image de la Vierge, signée ainsi :
« Les chrétiens de Kirkouk, vos frères, vous souhaitent la bienvenue. »

« Vous ne pouvez pas savoir l’émotion de l’imam qui est venu me voir, raconte Mgr Thomas. Il m’a dit : “Alors, il reste de la bonté en Irak.” »

 

L’évêque espère qu’on n’éludera la responsabilité de personne dans la société irakienne, ni dans la communauté internationale.

« Je suis troublé par le nombre des exilés. Nous ne devons pas manquer de courage. C’est notre pays, et nous devons rester pour travailler à le guérir. Il y a toujours du bon chez ceux qui font le mal. Perdre cette espérance, ce serait tout perdre. »

 

Extrait de l'article d'Adrien Bail sur le journal LACROIX